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Le noble homme marcha droit dans son chemin en se faisant précéder des deux sommiers ; il pria Jésus de le ramener sain et sauf. Bientôt il vint au bois de Beaucler ; mais de larrons, il n’en rencontra pas un seul. Il passa outre et arriva bientôt à la mer. Tout de suite il se mit à acheter ses poissons : des brochets et de beaux saumons, des esturgeons et des anguilles. Alors il ouvrit sa malle, et, sans compter les deniers, il les jeta à pleines mains aux vilains.

— Voilà un bon moine, se dirent-ils ; béni soit celui qui l’a envoyé ici. S’il y avait beaucoup d’hommes pareils, nous serions riches avant la fin de l’année. Il ne demande pas ce que coûte le blé, pourvu qu’il se remplisse le ventre.

Le comte Guillaume ne daigna pas même leur répondre ; mais il s’était promis de ne pas rapporter un seul de ses deniers. Il se casa tant bien que mal pour la nuit, fit bonne chère de poisson et de bon vin, et se reposa jusqu’au lendemain.

Quand le soleil fut levé le comte monta à cheval, fit charger ses bêtes de somme, et se mit en route pour l’abbaye. Arrivé au bois de Beaucler, il ne rencontra pas plus de larrons que la première fois.

Lorsqu’ils furent au beau milieu de la forêt, le noble comte dit à son valet :

— Bel ami, ne sais-tu rien chanter ? N’aie pas peur des larrons, crois-tu que je ne pourrais te défendre ?

Le valet, obéissant à cette injonction, entonna tout de suite à haute voix la chanson de geste suivante :

Venez ouïr de Thibaut l’amiré
Et de Guillaume le marquis au court nez,
Comment il prit Orange la cité,
Et Gloriette, le palais crénelé,
Comment Guibor à femme a épousé…

Ici il s’interrompit, et s’adressant à Guillaume :