Page:Guillaume d’Orange, le marquis au court nez (trad. Jonckbloet).djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
57

— Madame Orable, jetez-moi hors d’ici. Si je puis atteindre Narbonne, jamais de ma vie je ne reviendrai en ces lieux.

La pucelle fit un signe de son gant et à l’instant même l’enchantement cessa. Les moines disparurent ; Thibaut et les siens crurent qu’ils avaient rèvé.

Bientôt un nouvel enchantement se produisit. Les ours et les lions des parois, au nombre de quatre-vingts, se mirent à rugir et à grogner, et se jetèrent sur les convives. Pour mettre fin à cet incident, la demoiselle fit sortir tant d’eau d’un pilier, qu’en moins de temps qu’il n’en faut pour dire un Ave Maria, toute la salle en fut remplie. Les Sarrasins se débattirent dans leurs habits de fête pour ne pas se noyer. Thibaut atterré, renouvela à Orable la prière de le jeter hors du palais. Enfin la dame fit cesser les enchantements.

On conduisit dans leur appartement les rois qui avaient accompagné Thibaut, et on le coucha lui-même. La pucelle, au même moment, descendit dans les jardins par une porte secrète.

Le gros des compagnons de l’émir resta dans la salle à hurler comme des chiens.

Le lendemain matin, les rois sarrasins ne savaient pas plus ce qui leur était arrivé que ne le sait le „goupil” (le renard) que les chiens ont mis par terre.

La dame revint vers Thibaut et lui dit :

— Thibaut d’Arabie, levez-vous ; vous avez fait assez de prouesses cette nuit. Guillaume ne prendra pas mon pucelage, vous l’avez trop bien attaqué.

Thibaut crut qu’elle disait vrai. Il s’habilla, se chaussa à la hâte, et faisant appeler ses compagnons, leur dit :

— Nous n’avons pas de temps à perdre ici : il faut retourner au siége de Narbonne. La ville m’appartient de droit. Le comte Aymeric s’en est rendu maître ; mais il ne la gardera pas. Avant qu’il revienne de France, nous la lui aurons arrachée. Vite à l’assaut !