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tête le roi Thibaut, votre ennemi, ont assailli la cité de Narbonne et l’ont cernée de toutes parts. Ils ont juré par Mahomet, que de leur vie ils ne partiront de là avant de l’avoir prise d’assaut. Alors ils tailleront en pièces les soldats de la garnison et emmèneront Hermengard au clair visage ; ils lui feront renier Dieu et la donneront en mariage à un roi couronné.

Quand Aymeric entendit tout cela, il crut perdre la raison. Il courut à Guillaume et lui dit :

— Au nom de Dieu ! mon fils, nous sommes restés trop longtemps ici ; nous avons perdu la ville de Narbonne et vos trois frères déjà si renommés.

— Qui a fait cela ? demanda le jeune homme.

— Morbleu, les Sarrasins et les Esclavons. Ils sont trente rois et quatorze émirs avec tant d’hommes qu’on ne peut les compter. Ils ont cerné la ville et juré par Mahomet que ni le vent, ni les orages ne leur feront lever le siége, mais qu’ils prendront la ville d’assaut. Votre mère en est toute désolée et vous prie, au nom de Dieu, de venir à son secours ; sinon, vous ne la reverrez jamais.

Tout autre homme eût eu peur ; mais Guillaume, en apprenant ces nouvelles, ne fit qu’en rire, et il se mit à crier d’une voix forte :

— Où sont les bacheliers qu’on vient d’armer chevaliers ? où sont les barons qui veulent gagner du bien ? Qu’ils viennent à moi, je leur donnerai ce qu’ils demandent. Si le Dieu tout-puissant permet que nous arrivions à temps à la bonne cité, avant que les Sarrasins aient décampé, je leur donnerai or et argent à foison, et des mulets d’Espagne et des destriers de prix, des draps de soie, et des robes de cendal.

Les Français qui l’entendent sont tout disposés à le suivre ; par milliers ils s’adressent à lui et jurent par le Dieu tout-puissant qu’ils ne se sépareront pas de lui, dût-on leur couper la tête.