Page:Guizot - Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, 1823.djvu/360

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les cœurs sans qu’ils parlent ; il aime mieux un cœur contrit qu’un orgueilleux plein d’insolence ; il écoute le silence de ceux qui se taisent plus que les discours des éloquens ; il ne demande pas les expressions de la langue, mais l’humilité de l’âme. Lorsque Léger vit que tout secours humain l’abandonnait, il implora de toutes ses forces la protection divine, et autant l’impiété des hommes espérait l’éloigner du ciel, autant il s’en rapprocha par l’amour de Dieu.

Voyant cela, ils résolurent de conserver plus longtemps pour leur vengeance le Saint du Seigneur : ils le dépouillèrent honteusement, le conduisirent nu à travers les places, et le livrèrent, tout défiguré, à un homme nommé Waringue, afin que, sous sa cruelle domination, il rendit l’âme au milieu des tourmens. L’inique Ébroin dit à Waringue : « Reçois Léger que tu as vu autrefois si grand et si fier, et prends-le sous ta garde ; viendra le temps où il recevra de ses ennemis ce qu’il a mérité d’eux. » Comme la demeure de Waringue était loin, ils placèrent l’homme de Dieu sur une vile bête de somme. Quand Léger vit que cela se passait ainsi, il s’appliqua ce verset du psaume : « Seigneur, étant devenu comme une bête en votre présence, je ne me suis point cependant éloigné de vous[1]. » Quoiqu’il n’eût ni lèvres ni langue, il ne put se résoudre à taire les louanges du Seigneur, et son âme pieuse les proféra du fond du cœur aussi bien qu’il put articuler. En le voyant tout couvert de sang, on crut qu’il en mourrait. Un de nos frères, l’abbé Winobert, suivit de loin le Saint de Dieu jusqu’à sa

  1. Psaum. 72, v. 23.