Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

commun entre le possesseur du fief et les colons ; ils font partie de son domaine ; ils sont sa propriété ; et sous ce mot de propriété sont compris tous les droits que nous appelons aujourd’hui droits de souveraineté publique, aussi bien que les droits de propriété privée, le droit de donner des lois, de taxer, de punir, comme celui de disposer et de vendre. Il n’y a, entre le seigneur et les cultivateurs de ses domaines, autant du moins que cela peut se dire toutes les fois que des hommes sont en présence, point de droits, point de garanties, point de société.

De là, je crois, cette haine vraiment prodigieuse, invincible, que le peuple des campagnes a portée de tout temps au régime féodal, à ses souvenirs, à son nom. Il n’est pas sans exemple que les hommes aient subi de pesants despotismes et s’y soient accoutumés, bien plus, qu’ils les aient acceptés. Le despotisme théocratique, le despotisme monarchique ont plus d’une fois obtenu l’aveu, presque l’affection de la population qui les subissait. Le despotisme féodal a toujours été repoussé, odieux ; il a pesé sur les destinées, sans jamais régner sur les âmes. C’est que, dans la théocratie, dans la monarchie, le pouvoir s’exerce en vertu de croyances communes au maître et aux sujets ; il est le représentant, le ministre d’un autre pouvoir, supérieur à tous les pouvoirs humains ; il parle et agit au nom de la Divinité ou d’une idée générale, point au nom de l’homme lui-même, de l’homme seul. Le despotisme féodal est tout autre ; c’est le pouvoir de l’individu sur l’individu, la domination de la volonté personnelle et capricieuse d’un homme. C’est là peut-être la seule tyrannie qu’à