Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/183

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l’indépendance du clergé, est en quelque sorte l’histoire même de l’Église, depuis son berceau.

De là, Messieurs, on ne peut se le dissimuler, la plupart des abus qui, dès cette époque, et bien davantage plus tard, ont coûté si cher à l’Église. Il ne faut cependant pas les lui imputer absolument, ni regarder cette tendance à l’isolement comme particulière au clergé chrétien. Il y a, dans la nature même de la société religieuse, une forte pente à élever les gouvernants fort au-dessus des gouvernés, à attribuer aux gouvernants quelque chose de distinct, de divin. C’est l’effet de la mission même dont ils sont chargés, du caractère sous lequel ils se présentent aux yeux des peuples. Un tel effet cependant est plus fâcheux dans la société religieuse que dans toute autre. De quoi s’agit-il là pour les gouvernés ? De leur raison, de leur conscience, de leur destinée à venir, c’est-à-dire, de ce qu’il y a en eux de plus intime, de plus individuel, de plus libre. On conçoit jusqu’à certain point, quoiqu’il doive en résulter un grand mal, que l’homme puisse abandonner à une autorité extérieure la direction de ses intérêts matériels, de sa destinée temporelle. On comprend ce philosophe à qui l’on vient annoncer que le feu est à la maison, et qui répond : « Allez le dire à ma femme ; je ne me mêle pas des affaires du ménage. » Mais quand il y va de la conscience, de la pensée, de l’existence intérieure, abdiquer le gouvernement de soi-même, se livrer à un pouvoir étranger, c’est un véritable suicide moral, c’est une servitude cent fois pire que celle du corps, que celle de la glèbe.

Tel était pourtant le mal qui, sans prévaloir com-