Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/200

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Je ne pousserai pas plus loin, Messieurs, l’examen des conséquences générales de l’influence de l’Église sur la civilisation européenne ; je les ai résumées dans ce double résultat ; grande et salutaire influence sur l’ordre intellectuel et moral ; influence plutôt fâcheuse qu’utile sur l’ordre politique proprement dit. Nous avons maintenant à contrôler nos assertions par les faits, à vérifier par l’histoire ce que nous avons déduit de la nature même et de la situation de la société ecclésiastique. Voyons quelle a été, du cinquième au douzième siècle, la destinée de l’Église chrétienne, et si, en effet, les principes que j’ai mis sous vos yeux, les résultats que j’ai essayé d’en tirer, se sont développés tels que j’ai cru les pressentir.

Gardez-vous de croire, Messieurs, que ces principes, ces conséquences, aient apparu à la fois et aussi clairement que je les ai présentés. C’est une grande et trop commune erreur, quand on considère le passé à des siècles de distance, d’oublier, singulier oubli ! que l’histoire est essentiellement successive. Prenez la vie d’un homme, de Cromwell, de Gustave-Adolphe, du cardinal de Richelieu. Il entre dans la carrière, il marche, il avance ; de grands événements agissent sur lui, il agit sur de grands événements ; il arrive au terme ; nous le connaissons alors, mais dans son ensemble, tel qu’il est sorti en quelque sorte, après un long travail, de l’atelier de la Providence. Or en commençant, il n’était point ce qu’il est ainsi devenu ; il n’a pas été complet, achevé un seul moment de sa vie ; il s’est fait successivement. Les hommes se font moralement comme physiquement ; ils changent tous les jours ; leur être se modifie sans