Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

C’est l’état général de la société chez les Barbares que nous avons besoin de connaître. Or, il est très difficile aujourd’hui de s’en rendre compte. Nous parvenons sans trop de peine à comprendre le système municipal romain et l’Église chrétienne ; leur influence s’est perpétuée jusqu’à nos jours : nous en retrouvons les traces dans une multitude d’institutions, de faits actuels ; nous avons mille moyens de les reconnaître et de les expliquer. Les mœurs, l’état social des Barbares ont péri complètement ; nous sommes obligés de les deviner, soit d’après les plus anciens monuments historiques, soit par un effort d’imagination.

Il y a un sentiment, un fait qu’il faut avant tout bien comprendre pour se représenter avec vérité ce qu’était un Barbare : c’est le plaisir de l’indépendance individuelle, le plaisir de se jouer, avec sa force et sa liberté, au milieu des chances du monde et de la vie ; les joies de l’activité sans travail ; le goût d’une destinée aventureuse, pleine d’imprévu, d’inégalité, de péril. Tel était le sentiment dominant de l’état barbare, le besoin moral qui mettait ces masses d’hommes en mouvement. Aujourd’hui, dans cette société si régulière où nous sommes enfermés, il est difficile de se représenter ce sentiment avec tout l’empire qu’il exerçait sur les Barbares des quatrième et cinquième siècles. Il y a un seul ouvrage, à mon avis, où ce caractère de la barbarie se trouve empreint dans toute son énergie : c’est l'Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, de M.. Thierry, le seul livre où les motifs, les penchants, les impulsions qui font agir les hommes, dans un état social voisin