Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/121

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des vers ; c’était des louanges, des flatteries, des adulations.

Dans un coin de la salle on voyait, à un des groupes les plus considérables, un homme dont le maintien sérieux annonçait sans doute quelque profession savante, vêtu de noir ; c’était le docteur Roderigo, le médecin et l’ami des Médicis.

C’était un singulier homme que le docteur Roderigo. Alchimiste assez distingué pour son époque, il était peu versé dans la science qui le faisait vivre, et savait bien mieux celle dont il ne s’occupait que comme passe-temps. L’étude des livres et celle des hommes avaient imprimé sur sa figure un certain sourire sceptique et moqueur qui effaçait légèrement les rides sombres de son front. Dans sa jeunesse il avait beaucoup étudié, surtout la philosophie et la théologie, mais au fond, n’y ayant trouvé que doute et dégoût, il avait abandonné l’hypothèse pour la réalité et le livre pour le monde, autre livre aussi, où il y a tant a lire !

Il était alors à s’entretenir avec le comte Salfieri et le duc de Florence. Il aimait particulièrement l’entretien de ce dernier, parce qu’il trouvait là quelqu’un qui écoutait tous ses discours sans objection et qui répondait toujours par un oui approbatif, et lorsqu’on a une opinion hasardeuse, un système nouveau, on préfère l’exposer à un homme supérieur à vous par le sang et inférieur par les moyens ; voilà pourquoi le docteur Roderigo, qui était un homme de beaucoup d’esprit, aimait assez la société de Cosme II de Médicis, qui n’en avait guère.

Il y avait déjà près de deux heures qu’il tenait le duc dans une dissertation sur les miracles de l’Ancien Testament, et déjà plusieurs Fois Cosme s’était avoué vaincu, car à sa religion simple et naïve Roderigo opposait de puissantes objections et une logique vive et pressante.

— Rangez-vous donc, lui dit Safieri, vous empê-