Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/478

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toute sa hauteur, brisa la table d’un coup de pied, et jetant la carafe à la tête de Rymbaud :

— Mange, dit-il avec orgueil.

Le sang sortit et coula sur leurs vêtements comme le vin. Rymbaud tomba par terre avec des râles horribles, il se mourait.

— Bois, maintenant, continua Hugues.

Il s’approcha de lui, lui mit un genou sur la poitrine, et il lui desserrait les mâchoires avec les mains ; il força le moribond de boire encore, il se roula plusieurs fois par terre sur les verres brisés, au milieu du vin et du sang ; son corps se plia plusieurs fois comme un serpent ; puis tout à coup ses muscles se tendirent, il se releva encore une fois, chancela et tomba, poussa indistinctement quelques cris et retomba de nouveau dans son agonie, ivre et désespérée.

Hugues dormait.

Puis les râles plaintifs cessèrent, la lune s’évanouit sous les nuages, et quand l’aube vint à blanchir l’horizon, ses derniers rayons mourants éclairaient encore ces deux hommes qui dormaient tous deux, mais dont l’un avait passé de l’ivresse au sommeil et l’autre de l’ivresse à la tombe, autre sommeil aussi, mais plus tranquille et plus profond.

IV

Le lendemain, vers les quatre heures du soir, une pluie fine et serrée tombait sur la grande route et mouillait les feuilles poudreuses des arbres qui l’entouraient.

La maison de Hugues était une dernière du village ; elle était séparée de la grande route par une petite cour bordée d’une haie d’arbres qui laissait voir, à travers ses plis pleins d’ombrages, une maison blanche avec des auvents verts, une vigne tapissant la muraille de plâtre.