Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/493

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lais avec un grand œil béant, on riait de moi, le plus paresseux de tous, qui jamais n’aurais une idée positive, qui ne montrais aucun penchant pour aucune profession, qui serais inutile dans ce monde où il faut que chacun aille prendre sa part du gâteau, et qui enfin ne serais jamais bon à rien, tout au plus à faire un bouffon, un montreur d’animaux, ou un faiseur de livres.

(Quoique d’une excellente santé, mon genre d’esprit, perpétuellement froissé par l’existence que je menais et par le contact des autres, avait occasionné en moi une irritation nerveuse qui me rendait véhément et emporté, comme le taureau malade de la piqûre des insectes. J’avais des rêves, des cauchemars affreux.)

Oh !… la triste et maussade époque. Je me vois encore errant, seul, dans les longs corridors blanchis de mon collège, à regarder les hiboux et les corneilles s’envoler des combles de la chapelle, ou bien couché dans ces mornes dortoirs éclairés par la lampe, dont l’huile se gelait. Dans les nuits, j’écoutais longtemps le vent qui soufflait lugubrement dans les longs appartements vides, et qui sifflait dans les serrures en faisant trembler les vitres dans leurs châssis ; j’entendais les pas de l’homme de ronde qui marchait lentement avec sa lanterne, et, quand il venait près de moi, je faisais semblant d’être endormi et je m’endormais en effet, moitié dans les rêves, moitié dans les pleurs.

IV

C’étaient d’effroyables visions à rendre fou de terreur.

J’étais couché dans la maison de mon père ; tous les meubles étaient conservés, mais tout ce qui m’entourait cependant avait une teinte noire. C’était une nuit