Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/511

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

table de la cuisine d’auberge. Ce dernier trait surtout est du meilleur ton possible : Oh ! le linge est-il sale ? C’est trop poivré ; c’est trop épicé ! Ah ! l’horreur ! ma chère.

Va-t-on ensemble à la promenade, c’est à qui s’extasiera davantage sur la beauté du paysage. Que c’est beau ! que la mer est belle ! Joignez à cela quelques mots poétiques et boursouflés, deux ou trois réflexions philosophiques entrelardées de soupirs et d’aspirations du nez plus ou moins fortes ; si vous savez dessiner, tirez votre album en maroquin, ou, ce qui est mieux, enfoncez votre casquette sur les yeux, croisez-vous les bras et dormez pour faire semblant de penser.

Il y a des femmes que j’ai flairées belle esprit à un quart de lieue loin, seulement à la manière dont elles regardaient la vague. Il faudra vous plaindre des hommes, manger peu et vous passionner pour un rocher, admirer un pré et vous mourir d’amour pour la mer. Ah ! vous serez délicieux alors, on dira : le charmant jeune homme ! quelle jolie blouse il a ! comme ses bottes sont fines ! quelle grâce ! la belle âme ! C’est ce besoin de parler, cet instinct d’aller en troupeau où les plus hardis marchent en tête qui a fait, dans l’origine, les sociétés et qui de nos jours forme les réunions.

Ce fut sans doute un pareil motif qui nous fit causer pour la première fois. C’était l’après-midi, il faisait chaud et le soleil dardait dans la salle, malgré les auvents. Nous étions restés, quelques peintres, Maria et son mari et moi, étendus sur des chaises à fumer en buvant du grog.

Maria fumait, ou du moins, si un reste de sottise féminine l’en empêchait, elle aimait l’odeur du tabac (monstruosité, elle me donna même des cigarettes !) On causa littérature, sujet inépuisable avec les femmes ; j’y pris ma part, je parlai longuement et avec feu ; Maria et moi étions parfaitement du même