Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/226

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à mon tour, de trouver des jouissances, j’excitais les siennes à ce qu’il paraît ; mais que m’importait son plaisir à lui ! c’était le mien qu’il fallait, c’était le mien que j’attendais, j’en aspirais de sa bouche creuse et de ses membres débiles, j’en évoquais de tout ce vieillard, et réunissant dans un incroyable effort tout ce que j’avais en moi de lubricité contenue, je ne parvins qu’au dégoût dans ma première nuit de débauche.

À peine fut-il sorti que je me levai, j’allai à la fenêtre, je l’ouvris et je laissai l’air me refroidir la peau ; j’aurais voulu que l’Océan pût me laver de lui, je refis mon lit, effaçant avec soin toutes les places où ce cadavre m’avait fatiguée de ses convulsions. Toute la nuit se passa à pleurer ; désespérée, je rugissais comme un tigre qu’on a châtré. Ah ! si tu étais venu alors ! si nous nous étions connus dans ce temps-là ! si tu avais été du même âge que moi, c’est alors que nous nous serions aimés, quand j’avais seize ans, quand mon cœur était neuf ! toute notre vie se fût passée à cela, mes bras se seraient usés à t’étreindre sur moi et mes yeux à plonger dans les tiens.

Elle continua :

— Grande dame, je me levais à midi, j’avais une livrée qui me suivait partout, et une calèche où je m’étendais sur les coussins ; ma bête de race sautait merveilleusement par-dessus le tronc des arbres, et la plume noire de mon chapeau d’amazone remuait avec grâce ; mais devenue riche du jour au lendemain, tout ce luxe m’excitait au lieu de m’apaiser. Bientôt on me connut, ce fut à qui m’aurait, mes amants faisaient mille folies pour me plaire, tous les soirs je lisais les billets doux de la journée, pour y trouver l’expression nouvelle de quelque cœur autrement moulé que les autres et fait pour moi. Mais tous se ressemblaient, je savais d’avance la fin de leurs phrases et la manière dont ils allaient tomber à genoux ; il y