Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/276

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se mariait avec l’encens, comme deux parfums ! Le soleil, pénétrant à travers les vitraux dorés, jetait sur tout cela un jour mystique et azuré qui lui remplit l’âme d’une douce rêverie de foi et d’amour. Cette rêverie fut sa jeunesse, il prit dès lors Dieu comme une autre passion ; elle passa comme les autres !

De ce jour on vit Manoello dans la cathédrale ; il y venait le matin, n’en sortait que le soir et passait ses jours dans la méditation et la prière. On savait peu de choses sur sa personne et sur son genre de vie : il vivait retiré avec ses parents, il était riche, et voilà tout. Il paraissait sans désirs, sans passions de jeunesse, sans amours de femmes ; son indifférence pour elles les excitait davantage à lui faire des avances, et jamais pour aucune d’elles un regard aimable, une douce parole. Plus d’une pourtant vint souvent, au sortir de la messe, lui offrir l’eau bénite, avec un sourire apprêté et qui renfermait toute une pensée de jalousie et de désirs, et jamais pour ces pauvres jeunes filles un tendre soupir, un pressement de main langoureux ! son regard de plomb leur faisait baisser les yeux, et son front pâle les intimidait comme celui d’un vieillard.

Aussi on le haïssait, en revanche, on déchirait sa réputation dans les salons et dans les cercles de la haute société, sa tristesse passait pour des remords et son indifférence pour un dédain vaniteux ; le peuple le haïssait aussi, son laconisme et ses hauteurs semblaient l’insulter. S’il faisait l’aumône à un pauvre, il accompagnait cela d’un regard si froid et si paisible que le mendiant voyait sans peine que la pièce d’or sortait de la bourse mais non du cœur, de l’habitude mais non de l’âme.

Jamais la jeunesse de Saragosse ne l’avait vu s’enivrer avec elle, dans une splendide orgie : jamais on ne l’avait vu faire blanchir d’écume sa cavale andalouse aux courses du Prado, ni applaudir au théâtre à