Page:Gustave Flaubert - Trois contes.djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

doute, elle aura mangé », se dit-il ; et il avançait vers le lit, perdu dans les ténèbres, au fond de la chambre. Quand il fut au bord, afin d’embrasser sa femme, il se pencha sur l’oreiller où les deux têtes reposaient l’une près de l’autre. Alors, il sentit contre sa bouche l’impression d’une barbe.

Il se recula, croyant devenir fou ; mais il revint près du lit, et ses doigts, en palpant, rencontrèrent des cheveux, qui étaient très longs. Pour se convaincre de son erreur, il repassa lentement sa main sur l’oreiller. C’était bien une barbe, cette fois, et un homme ! un homme couché avec sa femme !

Éclatant d’une colère démesurée, il bondit sur eux, à coups de poignard ; et il trépignait, écumait, avec des hurlements de bête fauve. Puis il s’arrêta. Les morts, percés au cœur, n’avaient pas même bougé. Il écoutait attentivement leurs deux râles presque égaux, et, à mesure qu’ils s’affaiblissaient, un autre, tout au loin, les continuait. Incertaine d’abord, cette voix plaintive, longuement poussée, se rapprochait, s’enfla, devint cruelle, et il reconnut, terrifié, le bramement du grand cerf noir.

Et comme il se retournait, il crut voir, dans l’encadrure de la porte, le fantôme de sa femme, une lumière à la main.

Le tapage du meurtre l’avait attirée. D’un large