Page:Gustave Flaubert - Trois contes.djvu/95

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plie. Pour l’atteindre, il fallut une échelle. Julien y monta. L’épée trop lourde lui échappa des doigts, et en tombant frôla le bon seigneur de si près que sa houppelande en fut coupée ; Julien crut avoir tué son père, et s’évanouit.

Dès lors, il redouta les armes. L’aspect d’un fer nu le faisait pâlir. Cette faiblesse était une désolation pour sa famille.

Enfin le vieux moine, au nom de Dieu, de l’honneur et des ancêtres, lui commanda de reprendre ses exercices de gentilhomme.

Les écuyers, tous les jours, s’amusaient au maniement de la javeline. Julien y excella bien vite. Il envoyait la sienne dans le goulot des bouteilles, cassait les dents des girouettes, frappait à cent pas les clous des portes.

Un soir d’été, à l’heure où la brume rend les choses indistinctes, étant sous la treille du jardin, il aperçut tout au fond deux ailes blanches qui voletaient à la hauteur de l’espalier. Il ne douta pas que ce ne fût une cigogne ; et il lança son javelot.

Un cri déchirant partit.

C’était sa mère, dont le bonnet à longues barbes restait cloué contre le mur.

Julien s’enfuit du château, et ne reparut plus.