Page:Guy de Maupassant - Notre Cœur.djvu/105

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laissa séduire et reprit bientôt sa figure souriante.

On avait enfin atteint la digue, et on courait vers le Mont dressé au bout de cette route droite, élevée au milieu des sables. La rivière de Pontorson en baignait le talus de gauche ; à droite, les pâturages couverts de petit gazon, que le cocher appelait de la Criste marine, avaient fait place aux dunes encore suantes, imprégnées de mer.

Et le haut monument grandissait sur le ciel bleu, où il profilait, très nette à présent en tous ses détails, sa tête à clochetons et à tourelles, sa tête d’abbaye hérissée de gargouilles grimaçantes, chevelures de monstres, dont la foi épouvantée de nos pères a coiffé leurs sanctuaires gothiques.

Il était près d’une heure quand on arriva dans l’hôtel, où le déjeuner était commandé. La patronne, par prudence, n’était point prête ; il fallut attendre encore. On se mit donc à table fort tard ; on avait grand’faim. Le champagne tout de suite égaya les âmes.

Tout le monde se sentait content, et deux cœurs se croyaient tout près d’être heureux. Vers le dessert, quand l’animation des vins bus et le plaisir des causeries eurent développé dans les corps ce bonheur de vivre qui nous anime parfois à la fin des bons repas et nous dispose à tout approuver, à tout accepter, Mariolle demanda :

— Voulez-vous que nous restions ici jusqu’à demain ? Ce serait si beau de voir cela au clair de