Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/146

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toute discussion ; et souvent elle pleurait, la nuit, dans son lit.

Malgré sa constante irritation, son mari avait repris des habitudes d’amour oubliées depuis leur retour, et il était rare qu’il passât trois soirs de suite sans franchir la porte conjugale.

Rosalie fut bientôt guérie entièrement et devint moins triste, quoiqu’elle restât comme effarée, poursuivie par une crainte inconnue.

Et elle se sauva deux fois encore, alors que Jeanne essayait de l’interroger de nouveau.

Julien tout à coup parut aussi plus aimable ; et la jeune femme se rattachait à de vagues espoirs, retrouvait des gaietés, bien qu’elle se sentît parfois souffrante de malaises singuliers dont elle ne parlait point. Le dégel n’était pas venu et depuis bientôt cinq semaines un ciel clair comme un cristal bleu, le jour, et, la nuit, tout semé d’étoiles qu’on aurait crues de givre, tant le vaste espace était rigoureux, s’étendait sur la nappe unie, dure et luisante des neiges.

Les fermes isolées dans leurs cours carrées, derrière leurs rideaux de grands arbres poudrés de frimas, semblaient endormies en leur chemise blanche. Ni hommes ni bêtes ne sortaient plus ; seules les cheminées des chaumières révélaient la vie cachée, par les minces filets de fumée qui montaient droit dans l’air glacial.

La plaine, les haies, les ormes des clôtures, tout semblait mort, tué par le froid. De temps en temps, on entendait craquer les arbres, comme si leurs membres de bois se fussent brisés sous leur écorce ; et parfois une grosse branche se détachait et tombait, l’invin-