Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/217

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bas, se reposaient dans une paix silencieuse, endormis sous le charme tendre de la lune. Un peu de cette douceur calmante pénétra Jeanne et elle se mit à pleurer lentement.

Puis elle revint auprès du lit et s’assit en reprenant dans sa main la main de petite mère, comme si elle l’eût veillée malade.

Un gros insecte était entré, attiré par les bougies. Il battait les murs comme une balle, allait d’un bout à l’autre de la chambre, Jeanne, distraite par son vol ronflant, levait les yeux pour le voir ; mais elle n’apercevait jamais que son ombre errante sur le blanc du plafond.

Puis elle ne l’entendit plus. Alors elle remarqua le tic tac léger de la pendule et un autre petit bruit, ou, plutôt, un bruissement presque imperceptible. C’était la montre de petite mère qui continuait à marcher, oubliée dans la robe jetée sur une chaise aux pieds du lit. Et soudain un vague rapprochement entre cette morte et cette mécanique qui ne s’était point arrêtée raviva la douleur aiguë au cœur de Jeanne.

Elle regarda l’heure. Il était à peine dix heures et demie ; et elle fut prise d’une peur horrible de cette nuit entière à passer là.

D’autres souvenirs lui revenaient : ceux de sa propre vie — Rosalie, Gilberte — les amères désillusions de son cœur. Tout n’était donc que misère, chagrin, malheur et mort. Tout trompait, tout mentait, tout faisait souffrir et pleurer. Où trouver un peu de repos et de joie ? Dans une autre existence sans doute ! Quand l’âme était délivrée de l’épreuve de la terre. L’âme ! Elle se mit à rêver sur cet insondable mystère, se