Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/308

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abandonnée, plus perdue. Elle sortait pour faire un tour, gagnait le hameau de Verneuil, revenait par les Trois-Mares puis, une fois rentrée, se relevait, prise d’une envie de ressortir comme si elle eût oublié d’aller là justement où elle devait se rendre, où elle avait envie de se promener.

Et cela, tous les jours, recommençait sans qu’elle comprît la raison de cet étrange besoin. Mais, un soir, une phrase lui vint inconsciemment qui lui révéla le secret de ses inquiétudes. Elle dit, en s’asseyant, pour dîner : « Oh ! comme j’ai envie de voir la mer ! »

Ce qui lui manquait si fort, c’était la mer, sa grande voisine depuis vingt-cinq ans, la mer avec son air salé, ses colères, sa voix grondeuse, ses souffles puissants, la mer que chaque matin elle voyait de sa fenêtre des Peuples, qu’elle respirait jour et nuit, qu’elle sentait près d’elle, qu’elle s’était mise à aimer comme une personne sans s’en douter.

Massacre vivait également dans une extrême agitation. Il s’était installé, dès le soir de son arrivée, dans le bas du buffet de la cuisine, sans qu’il fût possible de l’en déloger. Il restait là tout le jour, presque immobile, se retournant seulement de temps en temps avec un grognement sourd.

Mais, aussitôt que venait la nuit, il se levait et se traînait vers la porte du jardin, en heurtant les murs. Puis, quand il avait passé dehors les quelques minutes qu’il lui fallait, il rentrait, s’asseyait sur son derrière devant le fourneau encore chaud, et, dès que ses deux maîtresses étaient parties se coucher, il se mettait à hurler.

Il hurlait ainsi toute la nuit, d’une voix plaintive et