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DERNIERS ÉQUIVALENTS POSSIBLES DU DEVOIR.

cun le conçoit à sa manière ; quelques-uns le nient tout à fait. C’est pourtant de la manière dont on conçoit le fond métaphysique des choses que dépend la manière dont on s’obligera soi-même à agir. En fait, une grande partie des plus nobles actions humaines ont été accomplies au nom de la morale religieuse ou métaphysique ; il est donc impossible de négliger cette très féconde source d’activité. Mais il n’est pas moins impossible d’imposer à l’activité une règle fixe tirée d’une seule doctrine ; au lieu de régler absolument l’application des idées métaphysiques, il importe seulement de la délimiter, de lui assigner sa sphère légitime sans la laisser empiéter sur la morale positive. Il faut compter sur la spéculation métaphysique en morale comme on compte sur la spéculation économique en politique et en sociologie. Seulement, en premier lieu, il faut bien se persuader que son domaine est celui du sacrifice pratiquement improductif pour l’individu, du dévouement absolu au point de vue terrestre ; le domaine de la spéculation économique est, au contraire, celui du sacrifice reproductif, du risque couru dans un but d’intérêt. En second lieu, il faut lui laisser son caractère hypothétique. En fait, je sais cela ; par hypothèse, et suivant un calcul personnel de probabilité, j’en induis ceci (par exemple que le désintéressement est le fond de mon être, et l’égoïsme la simple surface, ou réciproquement) ; par déduction, j’en tire une loi rationnelle de ma conduite. Cette loi est une simple conséquence de mon hypothèse, et je ne m’y sens rationnellement obligé qu’aussi longtemps que l’hypothèse me paraît la plus probable, la plus vraie pour moi. On obtient ainsi une sorte d’impératif rationnel et non catégorique, suspendu à une hypothèse.

En troisième lieu, il faut admettre que cette hypothèse peut varier suivant les individus, les tempéraments intel-