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L’ACTION RÉFLEXE ET LE BESOIN DE SANCTION.

confondu la défense avec la vengeance, et il n’a pas montré que cet instinct même se réduit à une action réflexe excitée directement ou sympathiquement. Lorsque cette action réflexe est excitée par sympathie, elle semble revêtir un caractère moral en prenant un caractère désintéressé : ce que nous appelons la sanction pénale n’est donc au fond qu’une défense exercée par des individus à la place desquels nous pouvons nous transporter en esprit, contre d’autresà la place desquels lions ne voulons pas nous mettre.

Le besoin physique et social de sanction a un double aspect, puisque la sanction est tantôt châtiment, tantôt récompense. Si la récompense nous paraît aussi naturelle que la peine, c’est qu’elle a, elle aussi, son origine dans une action réflexe, dans un primitif instinct de la vie. Toute caresse appelle et attend une autre caresse en réponse ; tout témoignage de bienveillance provuque chez autrui un témoignage semblable : cela est vrai du haut en bas de l’échelle animale ; un chien qui s’avance doucement en remuant la queue pour lécher un sien camarade, est indigné s’il se voit accueilli à coups de crocs, comme peut s’indigner un homme de bien recevant le mal en échange de ses bienfaits. Étendez par la sympathie et généralisez cette impression d’abord toute personnelle, vous en viendrez à formuler ce jugement : il est naturel que tout être qui travaille au bonheur de ses semblables reçoive lui-même, en échange, les moyens d’être heureux. Nous considérant comme solidaires les uns des autres, nous nous sentons engagés par une sorte de dette à l’égard de tout bienfaiteur de la société. Au déterminisme naturel qui lie le bienfait au bienfait s’ajoute ainsi un sentiment de sympathie et même de reconnaissance à l’égard du bienfaiteur : or, en vertu d’une illusion inévitable, le bonheur nous