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CRITIQUE DE L’IDÉE DE SANCTION.

châtiment. Lorsque aujourd’hui la société châtie, ce n’est jamais pour l’acte qui a été commis dans le passé, c’est pour ceux que le coupable ou d’autres à son exemple pourraient commettre dans l’avenir. La sanction ne vaut que comme promesse ou menace précédant l’acte et tendant mécaniquement à le produire ; celui-ci accompli, elle perd toute sa valeur : elle est un simple bouclier ou un simple ressort déterministe, et rien de plus. C’est bien pour cela qu’on ne punit plus les fous par exemple : on y a renoncé, après avoir reconnu que la crainte du châtiment n’avait pas d’action efficace sur eux. Il y a un siècle à peine, avant Pinel, l’instinct populaire voulait qu’on les punît comme tous les autres coupables, ce qui prouve combien les idées de responsabilité ou d’irresponsabilité sont vagues dans le concept vulgaire et utilitaire de la sanction sociale. Le peuple ne parlait pas au nom de ces idées métaphysiques, mais bien plutôt au nom de l’intérêt social, lorsqu’il réclamait autrefois des châtiments cruels, en harmonie avec ses mœurs ; les légistes ne doivent pas davantage mettre ces idées en avant, lorsqu’ils travaillent de nos jours à réduire la peine au strict nécessaire. Le « libre arbitre » et la « responsabilité absolue, » à eux seuls, ne légitiment pas plus un châtiment social que l’irresponsabilité métaphysique et le déterminisme métaphysique ; ce qui seul justifie la peine, c’est son efficacité au point de vue de la défense sociale[1].

  1. Il faut donc approuver la nouvelle école de juristes, particulièrement nombreuse et brillante en Italie, qui s’efforce de placer le droit pénal en dehors de toute considération morale et métaphysique. Remarquons pourtant que cette école a tort lorsque, après avoir mis à part toute idée de responsabilité métaphysique, elle pense être forcée par ses propres principes de mettre également à part « l’élément intentionnel et volontaire. » Suivant MM. Lom-