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SANCTION INTÉRIEURE ET REMORDS.

france qu’ils peuvent nous occasionner ne vient guère de leur conformité avec la fin que leur propose la raison, mais de leur conformité avec la fin vers laquelle ils se tournaient naturellement d’eux-mêmes. En d’autres termes, la joie de bien faire et le remords de mal faire ne sont jamais proportionnels en nous au triomphe da bien ou du mal moral, mais à la lutte qu’ils ont eu à soutenir contre les penchants de notre tempérament physique ou psychique.

Si les éléments du remords ou de la joie intérieure, provenant ainsi de la sensibilité, sont généralement variables, il en est un cependant qui présente une certaine fixité et qui peut exister chez tous les esprits élevés : nous voulons parler de cette satisfaction qu’éprouve toujours un individu à se sentir classé parmi les êtres supérieurs, conforme au type normal de son espèce, adapté à son propre idéal pour ainsi dire ; cette satisfaction correspond à la souffrance intellectuelle de se sentir déchu de son rang et de son espèce, tombé au niveau des êtres inférieurs. Par malheur une telle satisfaction, un tel genre de remords intellectuel ne se manifestent clairement que chez les esprits philosophiques ; de plus, cette sanction, limitée à un petit nombre d’êtres moraux, comporte une certaine antinomie provisoire. En effet, la souffrance produite par le contraste entre notre idéal et notre état réel doit être en nous d’autant plus grande que nous avons une plus pleine conscience de l’idéal, car alors nous acquérons une vue plus nette de la distance qui nous en sépare. La susceptibilité de la conscience va donc augmentant à mesure que celle-ci se développe, et la vivacité du remords est une mesure de l’effort même que nous faisons vers la moralité. De même que les organismes supérieurs sont toujours plus sensibles à toute espèce de douleur venant du dehors, et qu’en moyenne, par exemple,