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DIVERS ESSAIS POUR JUSTIFIER L’OBLIGATION.

Quand les partisans de la foi morale auraient démontré tout cela, ils n’auraient encore rien fait, pas plus que les partisans de telle ou telle religion s’ils pouvaient démontrer que leur religion est la meilleure ; les apologistes qui défendent un système particulier de morale ou de religion n’ont jamais rien prouvé, car il y a toujours une question qu’ils oublient, c’est de savoir s’il y a une religion quelconque qui soit vraie, une morale quelconque qui soit vraie.

Historiquement toute foi — à quelque objet qu’elle s’applique — a toujours paru obligatoire à celui qui la possédait. C’est que la foi marque une certaine direction habituelle de l’esprit, et qu’on éprouve une résistance quand on veut brusquement changer cette direction. La foi est une habitude acquise et une sorte d’instinct intellectuel qui pèse sur nous, nous contraint et, en un certain sens, produit un sentiment d’obligation.

Mais la foi ne peut avoir aucune action obligatoire sur celui qui ne la possède pas encore : on ne peut pas être obligé à affirmer ce que tout ensemble on ne sait pas et on ne croit pas. Le devoir de croire n’existe donc que pour ceux qui croient déjà : en d’autres termes la foi, lorsqu’elle est donnée, donne elle-même, comme toute habitude puissante et enracinée, le sentiment d’obligation qui semble y être attaché ; mais l’obligation ne précède pas la foi, ne la commande pas, du moins rationnellement parlant. On ne peut jamais commander à la raison qu’au nom d’une science ou d’une croyance déjà formée ; croire en dehors de ce qu’on sait ne peut donc jamais avoir rien d’obligatoire.

D’autre part, un simple doute suffirait pour délier d’une obligation qui ne proviendrait que de la foi. Et ce doute, une fois conscient de lui-même, créerait un devoir, celui de