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la genèse des religions.

gieux et au difforme qu’à un idéal quelconque. Pour la conscience primitive, comme pour l’art primitif, le grand ne se distingue pas d’ailleurs du monstrueux. L’immoralité est donc en germe, comme la moralité même, au début de toute religion. Et, encore une fois, ce serait une erreur de croire que les religions soient immorales en tant qu’anthropomorphiques et sociomorphiques ; c’est plutôt le contraire : elles ne sont morales que comme manifestations de l’instinct social, du sentiment naturel des conditions de la vie collective. Telle mutilation religieuse, par exemple, telle cruauté, telle obscénité, est une pratique d’origine étrangère aux idées directrices de la conduite humaine. On peut vérifier, pour toutes les religions, ce qu’on observe dans le christianisme, où le dieu vraiment moral est précisément le dieu-homme, Jésus, tandis que Dieu le père, qui sacrifie son fils sans pitié, est un type antihumain et immoral par cela même qu’il est surhumain.

En somme, nous voyons de nouveau se confirmer notre proposition fondamentale : la religion est une sociologie conçue comme explication physique, métaphysique et morale de toutes choses ; elle est la réduction de toutes les forces naturelles et même supra-naturelles à un type humain et de leurs relations à des relations sociales. Aussi le progrès de la religion a-t-il été exactement parallèle au progrès des relations sociales, qui lui-même a dominé et entraîné le progrès de la moralité intérieure, de la conscience. Les dieux se sont d’abord partagés en deux camps, les bienfaisants et les malfaisants, qui ont fini par être les bons et les méchants ; puis, ces deux légions se sont absorbées dans leurs chefs respectifs, dans Ormuzd et Ahrimane, dans Dieu et Satan, dans un principe de bien et dans un principe de mal. Ainsi, par un dualisme nouveau, on dédoublait les esprits et on les rangeait en deux classes, comme on avait déjà séparé les esprits des corps. Enfin, le principe du bien a subsisté victorieusement sous le nom de Dieu : il est devenu la personnification de la loi morale et de la sanction morale, le souverain législateur et le souverain juge, en un mot, la loi vivante dans la société universelle, comme le roi est la loi vivante dans la société humaine. Aujourd’hui, Dieu tend à devenir la conscience même de l’homme, élevée à l’infini, adéquate à l’univers. Pour les derniers et les plus subtils représentants du sentiment religieux, Dieu n’est plus même que le symbole de la moralité et de l’idéal. On peut voir, dans cette évolution