Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/101

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« Ce n’est pas pour moi que je crains : je n’ai pas besoin de vivre longtemps, la vie d’exil m’est trop lourde, mais c’est pour vous, mes pauvres enfants, pour vous que j’espérais voir si heureux !

— Calmez-vous, monsieur Frank, j’ai assez de ressources pour attendre tous trois des temps meilleurs. La guerre ne durera pas toujours et alors je serai médecin, je gagnerai pour trois et nous ne nous quitterons plus. »

Il me pressa sur son cœur et dit :

« Partons, si j’étais pris, ce serait le comble de tous mes maux. »

J’embrassai une dernière fois la vieille Magdeleine et nous nous éloignâmes dans l’ombre.


XXII

Après une marche de quelques heures, nous atteignîmes, sans rencontre fâcheuse, la frontière, puis la ville de Luxembourg.

Nous arrivâmes bientôt chez la vieille tante, qui habitait la ville basse, dans une maison située au bord de l’Alzette.

En me retrouvant près de Wilhelmine, il me sembla un moment que nos chagrins s’adoucissaient. Oh ! comme nous étions heureux de nous revoir ! Le père Frank lui-même oublia un peu ses soucis. Il était si content de voir sa Wilhelmine sourire encore, après avoir tant pleuré !

Pauvre fiancée ! Elle avait été longtemps malade, souhaitant de mourir aussi pour nous rejoindre. Elle me disait tout cela, en me tenant les mains, et le père Frank souriait avec la vieille tante. On ne parlait pas de mariage, parce que nous avions trop de deuil, et il fallait attendre que la France fût plus heureuse !