Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/48

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soleil, qui s’était montré de nouveau comme pour me faire voir une dernière fois cette ville encore libre et vierge !

Tout près, devant moi, étaient les forts noirs et terribles ! Il me semblait que d’un saut j’aurais pu m’élancer dans la ville. J’étais effrayé à la pensée que les Prussiens dominaient la ville de si près. Je ne pouvais comprendre comment on les avait laissés s’installer sur ce plateau.

Ils pouvaient de là voir tout ce qui se passait entre les remparts, et même avec une lunette, plonger dans les rues, car tout m’apparaissait en détail.

Cette vue m’avait tellement ému, que je ne songeai plus à suivre le dragon, qui me conduisait. Il me cria d’avancer. Je vis alors autour de moi, une foule de soldats de la ligne, à demi-cachés dans des trous circulaires, et surveillant la plaine.

Au pied de la côte, on tirait de temps à autre des coups de fusil et je voyais la fumée blanche sortir des massifs d’arbres, du côté de Metz. C’étaient des Français qui tiraillaient avec les Prussiens ! Souvent aussi une colonne de fumée s’élevait d’un des forts, et un coup de canon ébranlait l’atmosphère.

Je pensais en voyant tout cela :

Ils n’auront jamais une ville si forte, c’est impossible !

Cependant nous étions arrivés dans un ravin, au milieu d’un petit bois[1] où se trouvait une maison de garde-chasse. Là était une troupe nombreuse de soldats de la ligne, et près de la maison une grande table comme en haut de la côte.

Le dragon me conduisit devant un officier supérieur entouré d’une douzaine d’autres officiers de tous grades. Le chef avait de grosses épaulettes d’or : il était grand, sec, avec de longues moustaches blanches.

  1. Le bois d’Ars-Laquenexy.