Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/52

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La rue étroite était encombrée de voitures d’ambulance, et, en ce moment, arrivaient d’autres convois qui n’avaient pour passer que l’espace très resserré, occupé par le cheval du uhlan.

Je me jetai entre les voitures d’ambulance et celles qui passaient, et, pendant que le soldat faisait tourner son cheval, pour éviter un choc, je me glissai sous les roues du convoi arrêté, et j’entrai dans le corridor d’une maison, vis-à-vis.

Le uhlan n’avait pu me voir : d’ailleurs me poursuivre lui eût été impossible, car aucun passage n’existait pour son cheval. Je ne sais ce qu’il fit.

Quant à moi, sans m’arrêter, je cours le long du corridor, je traverse une écurie, j’entre dans un jardin, d’où je sors en sautant une petite haie, et je me trouve sur les bords d’une rivière. C’était sans doute la Nied. Sans tarder, je vais me cacher dans les roseaux qui bordent la rive et là j’attends sans souffler. J’avais raison en pensant que le uhlan n’avait pu voir dans quelle direction j’avais fui, car personne ne parut sur l’étroit sentier qui séparait la haie de la rivière.

J’étais d’ailleurs invisible dans ma cachette. Mes pieds commençaient à prendre l’humidité. Cependant je n’osais me montrer, car j’étais persuadé qu’on avait dû donner des ordres pour me faire rechercher dans le village, ou surveiller l’entrée et la sortie de la rue.

Je restai pendant une heure dans l’eau, où j’enfonçais de plus en plus. Cependant la nuit arrivait : je résolus de suivre la rivière jusqu’à ce que le village eût disparu.

J’avançais lentement, restant le plus possible dans les roseaux et les touffes de saules. Au moindre bruit, je m’arrêtais et m’abaissais. Après avoir marché ainsi quelque temps, j’arrivai près d’un pont, sur lequel passait la grande route que nous avions suivie dans la soirée.