Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La rivière baignait les deux côtés du pont : il fallait retourner ou traverser la route. Mais je vis parfaitement deux sentinelles, qui se promenaient à chaque extrémité du passage, et me hasarder à le traverser malgré les voitures qui circulaient, c’eût été me faire prendre.

Peut-être l’eau sous la voûte était-elle peu profonde et je pouvais tenter de passer le long d’un des côtés. Je continuai donc à suivre le bord de la rivière et j’entrai dans l’eau le plus doucement possible.

Il y avait, en effet, peu d’eau : jusqu’au genou à peine. J’avais atteint l’autre côté sans avoir été aperçu, lorsqu’en voulant grimper le long du talus, pour regagner la rive, je glissai dans l’eau avec bruit. Mon sac m’échappa ; en même temps, une sentinelle cria sur le pont et comme je ne répondais pas, un coup de feu partit.

J’avais senti comme un coup de fouet sur l’épaule gauche, mais sans m’occuper de ce qui m’avait frappé, je m’élançai sur le bord et courus à travers champs.

Il faisait assez noir et je ne voyais plus le pont, mais j’entendais beaucoup de bruit dans la direction de la route. Excité par le désir d’échapper enfin à ces Allemands, et de me voir libre de nouveau, je continuais à courir dans les terres, distinguant à peine le terrain à trois pas devant moi.

Mais peu à peu je sentis mes jambes fléchir sous moi, une douleur vive me dévorait à l’épaule. Je m’arrêtai affaibli, pour y porter la main : mon paletot était déchiré et je retirai ma main humide. Je compris que j’avais été atteint par la balle du Prussien. La pensée d’être blessé gravement et de rester sans secours au milieu des champs, me rendit quelque force.

Je marchai péniblement vers des lumières que je voyais au loin. C’était un village.