Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/64

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À droite, la plaine était plus étendue, toujours parsemée de villages, comme une grande ville dont les maisons seraient séparées par des bosquets : à l’horizon, les côtes pointues du Luxembourg, et plus près Thionville, dont la dernière enceinte était à peine distante de 3 kilomètres.

À gauche, Daspich, avec sa rue toujours animée ; puis la plaine de la Moselle, toujours la plaine, large, immense, jusqu’à Metz.

Après avoir traversé de longues prairies, j’étais arrivé derrière le bosquet du moulin, par un sentier, sans avoir passé par le village : personne ne m’avait vu, et, de la place que j’occupais, il m’était facile de regarder tout ce qui se passait dans la maison de ma mère.

Je la vis assise sur le banc de chêne, devant la porte : elle préparait le souper, avec la vieille Magdeleine, servante fidèle qui m’avait élevé.

Elles étaient silencieuses, elles ordinairement si gaies ; on voyait que leurs pensées étaient bien loin ! Sans doute, elles songeaient à leur pauvre Christian, qu’elles ne croyaient guère si près d’elles !

Une larme chaude coula sur ma joue et j’allais m’élancer pour leur dire :

« Me voici ! Ne pleurez plus ! »

Mais je connaissais la nature sensible et nerveuse de ma mère : une telle surprise pouvait lui faire beaucoup de mal. La prudence l’emporta sur mon amour et je résolus d’aller au moulin, d’où M. Frank pourrait aller apprendre à ma mère mon arrivée inattendue.

Je traversai le bosquet et j’entrai dans le jardin, qui aboutissait au pavillon habité par les gens du moulin.

La première personne que je rencontrai fut le bon père Frank, tout couvert de farine, toujours gros et réjoui. Il courut au-devant de moi, en criant :

« Est-ce un revenant ou bien est-ce mon petit Christian ? Dans quel état arrives-tu, mon pauvre gar-