Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/78

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foule. Un homme était au milieu d’un groupe menaçant : les poings se levaient sur lui et pourtant il semblait soutenir énergiquement ce qu’il disait.

Je m’approchai de cette foule irritée, et je frémis en entendant l’homme s’écrier :

« Oui, c’est vrai : Bazaine a trahi, il a capitulé et les Prussiens sont dans Metz !

— C’est un espion, disaient quelques personnes, il faut l’arrêter !

— C’est un traître, écrasons-le, » disaient les autres.

Mais l’homme continuait :

« Je suis Français comme vous, et aussi affligé que vous : mais j’ai vu, moi, j’étais là, et je suis venu pour que vous preniez garde, car après Metz, c’est sur Thionville qu’ils se jetteront. »

Je ne sais ce qu’on fit à cet homme, car je me sauvai tout bouleversé. Kuntz m’arrêta en chemin.

« Où courez-vous, dit-il ? Venez chez moi ! » Je fus étonné de son air grave.

« Savez-vous ce qu’on dit, lui demandai-je ?

— Oui, mais rien ne m’étonne plus. »

Je le suivis et nous causâmes longtemps de tout ce qui était arrivé et de ce qui nous menaçait encore.

Il espérait que la République nous sauverait, parce qu’elle réunirait tous les partis pour lutter contre l’ennemi.

« On fera une levée en masse, disait-il, et ce n’est que par ce moyen qu’on pourra résister à un ennemi aussi nombreux. Oui ! que tout le monde s’unisse, qu’on oublie les querelles, les divisions de partis, et vous verrez, Christian, que nous chasserons ces brigands de la France ! La France ! voilà le seul mot qui doit guider tout le monde, et c’est pour la patrie que chacun doit combattre et non pour son parti. »

Ainsi parlait le vieil ami Kuntz, en se promenant dans sa pharmacie.

Pendant que nous causions, un homme entra tout