Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/92

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bien tous les points, que nous avions examinés attentivement pendant le jour, nous arrivâmes sur les bords de la Moselle, sans avoir été entendus.

Le plus difficile était fait. Mais où aller ? Quelle direction prendre ?

La nuit était tellement noire que nous ne pouvions distinguer notre chemin à deux pas devant nous.

Tout à coup, Hermann, qui allait le premier, poussa un cri et je l’entendis glisser et se débattre dans l’eau, en m’appelant : il était tombé dans un des fossés nombreux qui aboutissent à la rive de la Moselle.

J’avançai vers lui, malgré le danger de tomber moi-même et je tendis la main en avant.

« À moi, » disait-il.

Je le vis à deux ou trois mètres plus bas, comme une masse sombre, dans un trou plein de boue et d’eau. Il cherchait à s’accrocher aux pierres et aux branches sèches des buissons, mais ses forces l’abandonnaient.

Couché sur le bord du fossé, le corps presque tout entier dans le vide, je m’efforçais, mais en vain, d’arriver jusqu’à lui.

Cependant le bruit qu’il avait fait en tombant, et l’écho de nos voix avaient attiré l’attention : j’entendais déjà les postes s’agiter et les chevaux trotter autour du camp.

On venait de notre côté !

« Nous sommes pris, m’écriai-je à mi-voix.

— Sauve-toi, » dit Hermann, en se laissant glisser à l’eau.

Mais j’étais déjà entouré : deux dragons me poussèrent à coups de crosse vers le fort, tandis que d’autres cherchaient dans le fossé, où ils avaient entendu le bruit de l’eau.

Je fus condamné à être enfermé dans un cachot humide, où du pain noir était ma seule nourriture, avec l’aumône d’une mauvaise bouillie tous les quatre