Page:Guyot - L'Inventeur.djvu/159

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tonneau avec ses dents ou qui, comme M. Paul, résistera à des chevaux.

Mais quant à admirer ces rêveurs, ces utopistes, ces cerveaux brûlés, ces visionnaires, ces originaux qui ne pensent pas, ne vivent pas, n’agissent pas comme tous les autres mortels, oh ! ils sont bien au-dessus de cela ! Ce ne sont pas eux qui se laissent prendre à ces chimères et à ces lubies, eux hommes d’expérience !

Et le malheureux inventeur, déjà écrasé par ses propres luttes avec son invention, voit arriver vers lui ses amis, ces Joseph Prudhomme, ces hommes d’expérience qui lui lui disent d’un air contristé :

— Mon cher, vraiment je suis désolé de vous voir vous enfoncer dans la voie où vous êtes lancé. Croyez-en mon expérience : tous les inventeurs se ruinent ; ce sont des têtes fêlées. Renoncez donc à toutes ces folies-là. Je vous ai connu raisonnable dans un temps, redevenez-le.

Et puis, il donne, cet homme d’expérience, une petite tape d’amitié sur l’épaule de l’inventeur qui reste, la tête basse, et sent par ces paroles, dites d’un ton de bienveillance et d’intérêt, toutes ses luttes morales se réveiller.

Les tourments recommencent plus vivaces que jamais ; les morsures sont empoisonnées.

Oh ! qu’elle est dangereuse la piqûre d’un homme d’expérience ! Oh ! quand un homme, tout brûlant d’enthousiasme, va se lancer à la recherche d’une idée, va se faire tuer pour une noble cause, va se ruiner pour sauver un ami, quand un cœur chaud bat dans une poitrine à tous les nobles sentiments, quand tout votre être est en feu, y a-t-il rien de plus douloureux que cette douche avec laquelle vient vous glacer un homme tranquille, à la conscience calme, en puisant une prise de tabac dans sa tabatière.

— Vous êtes fou, croyez-en mon expérience !

Oh ! «Dieu vous garde des hommes d’expérience ! » dit Alexandre Dumas ; car ce sont les égoïstes, les Sganarelle,