Page:Hémon - La rivière, Le Vélo, 1904-01-01.djvu/8

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J’oublie que j’ai travaillé tout le jour dans un bureau sombre, parmi les maisons à sept étages, et, penché sur le courant, je guette, l’oreille tendue, les bruits confus qui sortent de l’ombre. Il me semble que là-bas, au fond de l’inconnu traître, d’autres êtres vont se lever d’entre les roseaux, et marcher vers moi dans les ténèbres ; que les habitants séculaires des marécages, troublés dans leur possession tranquille, sont prêts à se lever pour la défendre.

Alors j’entre dans l’eau sans bruit, et, durant d’interminables minutes, nageant doucement, j’épie la rive hostile.

Je me plais à croire qu’ « Ils » sont là, aux aguets comme moi dans la nuit sombre, et qu’ils vont paraître soudain et surgir d’entre les arbres, redoutables, nus, musclés comme des bêtes de combat.