Page:Héricourt - La Femme affranchie.djvu/114

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depuis qu’il existe, n’a pas apparu deux fois identiquement le même à son lever. Et c’est malgré l’évidence de ces vérités, malgré la conviction où nous sommes des illusions des sens, de la débilité de notre intelligence qui ne peut rien connaître de la nature intime des êtres ; qui ne saisit que quelques lignes fugitives de leurs caractères personnels ; et c’est malgré toutes ces choses que nous osons établir des séries, leur attribuer des caractères que viennent contredire les faits, et violenter, torturer les seuls êtres qui existent, les individus, au nom de cette autre chose qui n’existe que dans notre cerveau malade : le genre, la classe !

Les fruits amers qu’a produits notre manie de classification devraient cependant nous en guérir. N’est-ce pas cette maladie qui, poussant les théocrates, les législateurs à diviser l’humanité en castes, en classes, a causé la plupart des malheurs de notre espèce ? N’est-ce pas grâce à ces exécrables divisions que nous avons un passé hideux dont les échos ne renvoient à notre oreille épouvantée que des sanglots, des cris de colère, de révolte, de malédiction, de vengeance, de sinistres bruits d’armes et de chaînes ?

N’est-ce pas grâce à elles encore que, sur les pages de notre histoire, toutes maculées de sang et de larmes, et qui exhalent une odeur de charnier, on ne lit que tyrannie, abrutissement, démoralisation ?

N’est-ce pas encore grâce à elles que le roi et le sujet, le maître et le serf, le blanc et le nègre, l’homme et la femme se démoralisent par l’oppression, l’injustice, la cruauté d’une part ; la ruse, la bassesse, la vengeance de l’autre ? .