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CLIO, LIVRE I.

faire à eux-mêmes. Que sais-je s’il ne serait pas plus avantageux de les réduire en servitude ? J’en ai agi, du moins à ce qu’il me semble, comme quelqu’un qui aurait épargné les enfants de celui qu’il aurait fait mourir. Vous étiez pour les Lydiens quelque chose de plus qu’un père, je vous emmène prisonnier ; je leur ai remis leur ville, et je m’étonne ensuite qu’ils se révoltent ! » Ce discours exprimait la manière de penser de ce prince : aussi Crésus, qui craignait qu’il ne détruisit entièrement la ville de Sardes, et qu’il n’en transplantât ailleurs les habitants, reprit la parole : « Ce que vous venez de dire, seigneur, est spécieux ; mais ne vous abandonnez pas entièrement aux mouvements de votre colère, et ne détruisez point une ville ancienne, qui n’est coupable ni des troubles précédents, ni de ceux qui arrivent aujourd’hui. J’ai été la cause des premiers, et j’en porte la peine. Pactyas a offensé celui à qui vous avez confié le gouvernement de Sardes : qu’il en soit puni. Pardonnez aux Lydiens ; mais, de crainte qu’à l’avenir ils ne se soulèvent, et qu’ils ne se rendent redoutables, envoyez-leur défendre d’avoir des armes chez eux, et ordonnez-leur de porter des tuniques sous leurs manteaux, de chausser des brodequins, de faire apprendre à leurs enfants à jouer de la cithare, à chanter, et les arts propres à les rendre efféminés. Par ce moyen, seigneur, vous verrez bientôt des hommes changés en femmes, et il n’y aura plus à craindre de révolte de leur part. »

CLVI. Crésus lui donna ce conseil, qu’il croyait plus avantageux pour les Lydiens que d’être vendus comme de vils esclaves. Il sentait que, à moins de lui alléguer de bonnes raisons, il ne réussirait pas à le faire changer de résolution ; et d’ailleurs il appréhendait que si les Lydiens échappaient au danger présent, ils ne se soulevassent dans la suite contre les Perses, et n’attirassent sur eux une ruine totale. Ce conseil causa beaucoup de joie à Cyrus, qui, étant revenu de sa colère, témoigna à Crésus qu’il le suivrait. En même temps il manda un Mède, nommé Mazarès, lui ordonna de déclarer aux Lydiens l’avis que Crésus lui avait suggéré ; et de plus il lui commanda de réduire en