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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

après avoir enivré ceux qui le gardaient. Elle ne l’eut pas plutôt entendu qu’elle voulut l’arrêter ; mais comme ils étaient dans l’obscurité, il lui tendit le bras du mort, qu’elle saisit, croyant que c’était celui du voleur. Il lâcha ce bras, courut à la porte et se sauva.

Le roi, informé de ce qui s’était passé, fut extrêmement surpris de la ruse et de la hardiesse de cet homme ; mais enfin il fit publier dans toutes les villes de son obéissance qu’il lui accordait sa grâce, et que, s’il voulait se présenter devant lui, il lui donnerait outre cela de grandes récompenses. Le voleur, se fiant à sa parole, vint le trouver. Rhampsinite conçut pour lui une si grande admiration, qu’il lui donna sa fille en mariage, le regardant comme le plus habile de tous les hommes, parce qu’il en savait plus que tous les Égyptiens, qui sont eux-mêmes plus ingénieux que tous les autres peuples.

CXXII. Après cela, me dirent les mêmes prêtres, Rhampsinite descendit vivant sous terre, dans ces lieux que les Grecs croient être les enfers. Il y joua aux dés avec Cérès : tantôt il gagna, tantôt il perdit. Quand il revint sur terre, la déesse lui fit présent d’une serviette d’or. Les mêmes prêtres me dirent aussi que les Égyptiens avaient institué une fête qui dure autant de temps qu’il s’en passa depuis la descente de Rhampsinite jusqu’à son retour. Je sais que, de mon temps, ils célébraient encore cette fête ; mais je ne puis assurer s’ils l’ont établie pour ce sujet ou pour quelque autre.

Les prêtres revêtent pendant cette fête l’un d’entre eux d’un manteau tissu et fait le jour même de la cérémonie, et, lui couvrant les yeux d’un bandeau, ils le mettent dans le chemin qui conduit au temple de Cérès[1] ; ensuite ils se retirent. Ils me dirent qu’après cela deux loups conduisaient le prêtre, qui avait les yeux ainsi bandés, au tem-

  1. De Déméter dans le grec. « Les Égyptiens, regardant la terre comme le réceptacle de tout ce qui naît, lui donnent le nom de mère. Les Grecs l’appellent Déméter, mot qui en approche, et qui a été un peu changé avec le temps. Ils la nommaient autrefois Gèmèter (terre mère) ; témoin Orphée, où on lit : Γῆ μήτηρ πάντων Δημήτηρ πλουτοδότειρα, Terre mère, Démêter, qui nous donnez toutes sortes de richesses. » (L.)