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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

cher le mena dans sa chambre, où la reine ne tarda pas à se rendre. Gygès la regarda se déshabiller, et, tandis qu’elle tournait le dos pour gagner le lit, il se glissa hors de l’appartement ; mais la reine l’aperçut en sortant. Elle ne douta point que son mari ne fût l’auteur de cet outrage : la pudeur l’empêcha de crier, et même elle fit semblant de ne l’avoir pas remarqué, ayant déjà conçu dans le fond du cœur le désir de se venger de Candaule : car chez les Lydiens, comme chez presque tout le reste des nations barbares, c’est un opprobre, même à un homme, de paraître nu.

XI. La reine[1] demeura donc tranquille, et sans rien découvrir de ce qui se passait dans son âme. Mais, dès que le jour parut, elle s’assure des dispositions de ses plus fidèles officiers, et mande Gygès. Bien éloigné de la croire instruite, il se rend à son ordre, comme il était dans l’habitude de le faire toutes les fois qu’elle le mandait. Lorsqu’il fut arrivé, cette princesse lui dit : « Gygès, voici deux routes dont je te laisse le choix ; décide-toi sur-le-champ. Obtiens par le meurtre de Candaule ma main et le trône de Lydie, ou une prompte mort t’empêchera désormais de voir, par une aveugle déférence pour Candaule, ce qui t’est interdit. Il faut que l’un des deux périsse, ou toi qui, bravant l’honnêteté, m’as vue sans vêtements, ou du moins celui qui t’a donné ce conseil. » À ce discours, Gygès demeura quelque temps interdit ; puis il conjura la reine de ne le point réduire à la nécessité d’un tel choix. Voyant qu’il ne pouvait la persuader, et qu’il fallait absolument ou tuer son maître ou se résoudre lui-même à périr, il préféra sa propre conservation. « Puisque, malgré mes réclamations, dit-il à la reine, vous

  1. La femme de Candaule, dont Hérodote tait le nom, s’appelait Nyssia. On prétend qu’elle avait une double prunelle, et que, par le moyen d’une pierre de dragon, sa vue était très-perçante, en sorte qu’elle aperçut Gygès dans le temps qu’il sortait. Quelques-uns disent qu’elle s’appelait Tudous, quelques autres Clytia, et Abas la nomme Abro. Ils racontent qu’Hérodote cacha son nom, parce que Plésirrhoüs, qu’il aimait, était amoureux d’une personne d’Halicarnasse de ce nom. Ce jeune homme, désespéré de n’avoir pu toucher sa maîtresse, se pendit. Hérodote regarda le nom de Nyssia comme un nom odieux, et s’abstint par cette raison de le prononcer. (L.)