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TERPSICHORE, LIVRE V.

sent sur le sort fâcheux qu’il doit nécessairement éprouver pendant sa vie. Mais si quelqu’un meurt, ils en témoignent de la joie en le mettant en terre, et se réjouissent du bonheur qu’il a d’être délivré d’une infinité de maux.

V. Chez les peuples qui demeurent au-dessus des Crestoniens, chaque particulier a plusieurs femmes. Lorsqu’un d’entre eux vient à mourir, il s’élève entre ses femmes de grandes contestations pour savoir celle qu’il aimait le mieux, et ses amis s’intéressent vivement à cette dispute. Celle en faveur de qui on prononce un jugement si honorable reçoit les éloges de la compagnie. Son plus proche parent l’immole ensuite sur le tombeau de son mari, et on l’enterre, avec lui. Les autres femmes sont très-affligées de cette préférence ; c’est pour elles un très-grand affront.

VI. Les autres Thraces ont coutume de vendre leurs enfants, à condition qu’on les emmènera hors du pays. Ils ne veillent pas sur leurs filles, et leur laissent la liberté de se livrer à ceux qui leur plaisent ; mais ils gardent étroitement leurs femmes, et les achètent fort cher de leurs parents. Ils portent des stigmates sur le corps[1] ; c’est chez eux une marque de noblesse ; il est ignoble de n’en point avoir. Rien de si beau à leurs yeux que l’oisiveté, rien de si honorable que la guerre et le pillage, et de si méprisable que de travailler à la terre. Tels sont leurs usages les plus remarquables.

VII. Ils n’adorent que Mars, Bacchus[2] et Diane ; mais les rois seuls honorent principalement Mercure, dont ils se croient descendus, et ne jurent que par lui.

VIII. Voici comment se font les funérailles des gens riches. On expose le mort pendant trois jours, et, après

  1. Si l’on en croit Plutarque, les Thraces imprimaient encore de son temps à leurs femmes des stigmates, pour venger Orphée, qu’elles avaient fait mourir. Phanoclès est d’accord avec lui dans un poëme sur Orphée, dont Stobée nous a conservé un fragment. Si cette raison est vraie, il est bien étonnant que ce qui fut dans l’origine une punition soit devenu dans la suite un ornement et une marque de noblesse. (L.)
  2. Le culte de Bacchus chez les Thraces est attesté par plusieurs autres auteurs, et entre autres par Euripide. Aussi voyons-nous, dans le Rhésus, attribué à ce poëte, que ce prince, ayant été tué par Ulysse, fut porté dans les antres de Thrace par la Muse qui lui avait donné le jour, et qu’étant devenu dieu, d’homme qu’il avait été, il y rendait les oracles de Bacchus. (L.)