Page:Hérodote - Histoire, trad. Larcher, tome 1, 1850.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
HISTOIRE D’HÉRODOTE.

rannie, qui n’avait pas encore eu le temps de jeter de profondes racines. Ceux qui l’avaient chassé renouvelèrent bientôt après leurs anciennes querelles. Mégaclès, assailli de toutes parts par la faction contraire, fit proposer par un héraut à Pisistrate de le rétablir, s’il voulait épouser sa fille. Pisistrate accepta ses offres ; et, s’étant engagé à remplir cette condition, il imagina, de concert avec Mégaclès, pour son rétablissement, un moyen d’autant plus ridicule, à mon avis, que dès la plus haute antiquité les Hellènes ont été distingués des barbares comme plus adroits et plus éloignés de la sotte bonhomie ; et que les auteurs de cette trame avaient affaire aux Athéniens, peuple qui a la réputation d’être le plus spirituel de la Grèce.

Il y avait à Paeania, bourgade de l’Attique, une certaine femme, nommée Phya[1], qui avait quatre coudées de haut moins trois doigts[2], et d’ailleurs d’une grande beauté. Ils armèrent cette femme de pied en cap ; et, l’ayant fait monter sur un char, parée de tout ce qui pouvait relever sa beauté, ils lui firent prendre le chemin d’Athènes. Ils étaient précédés de hérauts qui, à leur arrivée dans la ville, se mirent à crier, suivant les ordres qu’ils avaient reçus : « Athéniens, recevez favorablement Pisistrate ; Minerve, qui l’honore plus que tous les autres hommes, le ramène elle-même dans sa citadelle. » Les hérauts allaient ainsi de côté et d’autre, répétant la même injonction. Aussitôt le bruit se répand que Minerve ramenait Pisistrate. Les bourgades en sont imbues, la ville ne doute pas que cette femme ne soit la déesse. On lui adresse des vœux, on reçoit le tyran de sa main.

LXI. Pisistrate, ayant ainsi recouvré la puissance souveraine, épousa la fille de Mégaclès, suivant l’accord fait entre eux ; mais comme il avait des fils déjà grands, et que

  1. Cette Phya était fille d’un nommé Socrates, et vendait des couronnes. Pisistrate la maria à son fils Hipparque, comme le raconte Clidémus, au huitième livre des Retours. « Elle fut accusée de crime d’État, après qu’on eut chassé Pisistrate. J’aurais pu, dit le dénonciateur, l’accuser aussi d’impiété pour avoir représenté Minerve d’une manière impie. » (L.)
  2. C’est-à-dire cinq pieds près de deux pouces, suivant l’évaluation de M. d’Anville dans son Traité des mesures itinéraires.