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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

dont il veut aujourd’hui que je fasse mourir le fils, que me reste-t-il, sinon la perspective du plus grand danger ? Pour ma sûreté, il faut que l’enfant périsse ; mais que ce soit par les mains de quelqu’un des gens d’Astyages, et non par le ministère des miens. »

CX. Il dit, et sur-le-champ il envoya un exprès à celui des bouviers d’Astyages qu’il savait mener ses troupeaux dans les meilleurs pâturages, et sur les montagnes les plus fréquentées par les bêtes sauvages. Il s’appelait Mitradates. Sa femme, esclave d’Astyages ainsi que lui, se nommait Spaco, nom qui, dans la langue des Mèdes, signifie la même chose que Cyno dans celle des Grecs ; car les Mèdes appellent une chienne spaco. Les pâturages où il gardait les bœufs du roi étaient au pied des montagnes, au nord d’Agbatanes, et vers le Pont-Euxin. De ce côté-là, vers les Sapires[1], la Médie est un pays élevé, rempli de montagnes et couvert de forêts, au lieu que le reste du royaume est plat et uni. Le bouvier, que l’on avait mandé en diligence, étant arrivé, Harpage lui parla ainsi : « Astyages te commande de prendre cet enfant, et de l’exposer sur la montagne la plus déserte, afin qu’il périsse promptement. Il m’a ordonné aussi de te dire que, si tu ne le fais pas mourir, et que tu lui sauves la vie de quelque manière que ce soit, il te fera périr par le supplice le plus cruel. Ce n’est pas tout : il veut encore que je sache par moi-même si tu as exposé cet enfant. »

CXI. Aussitôt Mitradates prit l’enfant, et retourna dans sa cabane par le même chemin. Tandis qu’il allait à la ville, sa femme, qui n’attendait de jour en jour que le moment d’accoucher, mit au monde un fils, par une permission particulière des dieux. Ils étaient inquiets l’un de l’autre, le mari craignant pour sa femme, prête à accoucher, la femme pour son mari, parce qu’Harpage n’avait pas coutume de le mander. Dès qu’il fut de retour, sa femme, surprise de le voir au moment où elle s’y attendait le moins, lui parla la première, et voulut savoir pourquoi Harpage l’avait envoyé chercher avec tant d’empres-

  1. Voyez liv. iii, § xciv.