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POLYMNIE, LIVRE VII.

commencèrent du côté d’Abydos, et les continuèrent jusqu’à cette côte, les Phéniciens en attachant des vaisseaux avec des cordages de lin, et les Égyptiens en se servant pour le même effet de cordages d’écorce de byblos. Or, depuis Abydos jusqu’à la côte opposée, il y a un trajet de sept stades. Ces ponts achevés, il s’éleva une affreuse tempête qui rompit les cordages et brisa les vaisseaux.

XXXV. À cette nouvelle, Xerxès, indigné, fit donner, dans sa colère, trois cents coups de fouet à l’Hellespont, et y fit jeter une paire de ceps. J’ai ouï dire qu’il avait aussi envoyé avec les exécuteurs de cet ordre des gens pour en marquer les eaux d’un fer ardent[1]. Mais il est certain qu’il commanda qu’en les frappant à coups de fouet, on leur tînt ce discours barbare et insensé : « Eau amère et salée, ton maître te punit ainsi parce que tu l’as offensé sans qu’il t’en ait donné sujet. Le roi Xerxès te passera de force ou de gré. C’est avec raison que personne ne t’offre des sacrifices, puisque tu es un fleuve[2] trompeur et salé. » Il fit ainsi châtier la mer, et l’on coupa par son ordre la tête à ceux qui avaient présidé à la construction des ponts.

XXXVI. Ceux qu’il avait chargés de cet ordre barbare

  1. Les traits avec lesquels les historiens grecs nous représentent Xerxès paraissent bien chargés. Je suis persuadé qu’ils ont prêté à ce prince une conduite si extravagante, à cause de la haine que leur avait inspirée l’expédition qu’il fit contre eux. On connaît d’ailleurs ce mot de Juvénal, Græcia mandax. Si l’on avait l’histoire de Perse écrite par les Perses mêmes, on pourrait reconnaître la vérité, même à travers les déguisements dont ils auraient tâché de l’envelopper. (L.)
  2. Il paraît fort étrange qu’Hérodote donne à l’Hellespont le nom de fleuve ; mais on peut en voir la raison dans le passage suivant de Wood : « Quand je naviguais dans la mer Égée, dans l’Hellespont, nous étions obligés de faire route contre un courant vif et constant, lequel, sans l’assistance d’un vent du nord, fait ordinairement trois nœuds par heure. Nous étions en même temps enfermés de tous côtés par les terres. Rien ne s’offrait à notre vue que des scènes champêtres, et tous les objets nous présentaient l’idée d’une belle rivière qui traverse un pays. Dans cette situation, je pouvais à peine me persuader que j’étais en mer, et il était tout aussi naturel de parler de la grande largeur comparative de l’Hellespont, que de faire mention de son embouchure, de son courant agréable, de ses bords couverts de bois, et de toutes les autres circonstances qui n’appartiennent qu’aux rivières. » (Wood, Description de la Troade, p. 300).