Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/116

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s’était écartée du passé, auquel elle se sentait encore attachée, malgré toutes les railleries et les moqueries qu’elle pouvait lui adresser. C’est une figure où ne se détachent en lignes pures et distinctes ni la physionomie intellectuelle, ni la physionomie morale. Il sentait lui-même ses contradictions et ses conflits intérieurs. Ils provenaient de sa nature, mais ils étaient entretenus par le milieu où il se développa et où sa pensée se forma.

Sa destinée se décida de bonne heure. Il dit lui-même que lorsqu’on a boutonné à l’envers le premier bouton de son habit, on ne peut plus boutonner exactement aucun des autres. On peut en dire autant de la démarche que fit Philippe Bruno, né en 154825, à Nola dans l’Italie méridionale, à l’âge de seize ans en entrant dans un couvent de Naples. Sa famille semble avoir appartenu à la noblesse, et il avait reçu une bonne instruction préparatoire. À part cela, on ne sait rien de son enfance, notamment sur ce qui le poussa à se faire moine. Peut-être prit-il cette détermination dans un moment d’exaltation. De brusques revirements d’un enthousiasme infini à un abattement profond, le prompt passage des rêves mystiques à l’examen critique, telles étaient les particularités de son caractère. Il fit une démarche qui ne pouvait s’annuler, et pourtant le reste de sa vie tout entière fut une tentative pour l’annuler. Au couvent, où il prit le nom de Giordano, il ne tarda pas à montrer quelle difficulté il avait à courber son esprit sous la discipline. Plusieurs fois il fut accusé d’actes hérétiques. Il enleva tous les saints de sa cellule pour ne conserver qu’un crucifix, ce qui commença à attirer sur lui les soupçons ; puis il défendit la doctrine arienne lorsqu’il fut consacré prêtre. Pendant l’interrogatoire de l’Inquisition à Venise, il déclara plus tard qu’il avait douté du dogme de la Trinité dès sa dix-huitième année. Voyant qu’on préparait une accusation contre lui, il s’enfuit à Rome pour échapper à la détention ; et comme l’accusation l’y talonnait, il quitta ses habits de moine et s’enfuit de Rome. C’était à la fin de l’année 1576. Alors il commença ses tribulations et sa vie vagabonde de place en place, tout en poursuivant le travail ardent de sa pensée et la lutte non moins passionnée, pour les idées nouvelles