Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont développées ses idées sur la spéculation et sur la philosophie religieuse. Cet ouvrage se continue par le dialogue de l’Univers infini et des mondes qui expose plus en détail sa théorie du principe infini, divin, qui se révèle dans une infinité de mondes et d’êtres.

Après avoir développé dans ces écrits le côté théorique de ses idées, il donne sa philosophie morale et sa conception pratique de la vie dans l’Expulsion de la bête triomphante (Spaccio della bestia trionfante) à laquelle se rattachent la doctrine secrète de l’âne de Pegase et « Des folies héroïques » (De gl’ heroici furori). Quantité de chapitres se distinguent dans ces écrits par la profondeur de la pensée et par l’exposition, pleine d’humour et de poésie. Mais ils alternent avec des passages où la vieille scolastique montre encore la tête et où l’imagination dégénère en conception fantastique, quand il ne lutte pas avec la langue pour exprimer l’inexprimable. Ce dernier trait caractérise peut-être le mieux Bruno. Sa conception du monde est fondée essentiellement sur la façon de voir nouvelle établie par Copernic. Mais Bruno remarque que ses idées mènent logiquement bien plus loin et que, du moment que l’on éloigne la terre de son lieu de repos au centre de l’univers, on perd par le fait même le droit de tolérer l’immobilité et une frontière en un point quelconque du monde. La tendance à fonder la conception du monde sur les données de l’expérience est accompagnée d’un mouvement qui mène au delà des bornes de cette expérience. Et comme c’était la conviction de Bruno que ce qu’il y a de plus élevé se manifeste dans la nature, il était convaincu aussi que toute révélation ou série de révélations quelconque est impuissante à en exprimer la plénitude et l’unité, en sorte que pour cela les oppositions n’ont aucune valeur et que les mots sont impropres. Aucune pensée, aucun nombre, aucune mesure ne sont suffisants, quoique la nature soit définie également dans toutes ses parties par la pensée, le nombre et la mesure. Il est aussi bien convaincu de la nécessité de la conception scientifique que de son insuffisance. Il dit dans un de ses poèmes philosophiques : « ma raison et mon esprit m’enseignent qu’aucun acte de pensée, aucune mesure, aucun calcul, ne peuvent comprendre une force, une masse et