Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mène avec une nécessité intérieure à la conservation de soi et à l’évolution. La téléologie et la mécanique y sont réunies. Les divers êtres et les divers mondes se meuvent en vertu du principe interne de telle façon que leur existence soit assurée et que les systèmes célestes ne se désorganisent pas mal à propos. La Providence et la force active de la nature (la provida natura) ne sont donc pas différentes, elles sont une seule et même chose. Bruno montre avec plus de précision dans le poème didactique latin « De immenso » (V, 3) comment cette unité de la téléologie et de la mécanique apparaît dans la nature : les combinaisons d’éléments qui ne sont pas conformes à l’ordre ont vite vécu : male adorta cita pereunt. Par suite d’une agitation continuelle (exagitatio) des éléments il finit nécessairement par se former des combinaisons susceptibles d’existence et douées d’une vitalité assez longue. On peut expliquer de cette façon la formation de systèmes célestes existant depuis des siècles. Tout en s’associant par cette déclaration aux atomistes de l’antiquité qui avaient des idées analogues — ainsi qu’on peut le voir au poème didactique de Lucrèce — Bruno a la conviction arrêtée que cela n’exclut pas une Providence : dans la tendance qui pousse continuellement à de nouvelles tentatives, finalement couronnées de succès, il voit l’expression d’une volonté directrice, il sent une mens paterna cuncta moderans. C’est le trait caractéristique des essais de Bruno que d’allier l’idéalisme platonicien à une conception réaliste de la nature. Dans sa première phase (dans les « ombres des idées ») c’était dans l’harmonie de la nature qu’il trouvait l’idée ; ici il fait un pas de plus et trouve l’idée dans la lutte pour la vie. — Cependant, en soulignant la force interne Bruno conserve à sa conception de la nature un caractère poétique. En quelques points il se rapproche d’une observation purement scientifique de la nature ; mais le désir de retrouver partout les mêmes motifs que ceux qu’il connaissait par lui-même l’empêcha d’aller jusqu’au bout. Il a émis des opinions qui même après la fondation d’une science mécanique de la nature sont susceptibles d’offrir de l’intérêt, mais qui, à elles seules, ne pouvaient mener à l’établissement de cette science. Parmi les points où il se rapproche de la conception mécanique de la nature, il faut citer en parti-