Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/150

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bien peut se déterminer de façon à ne pas exprimer qu’un simple rapport avec la nature humaine (« ad speciem humanam contractum ») La conséquence de la conception de la nature chez Bruno semble donc être nécessairement celle-ci : comme dans l’univers une détermination absolue de lieu, c’est-à-dire une détermination de lieu sans relation, est impossible, ainsi on ne saurait faire d’appréciation morale ou esthétique sans la rapporter à une base subjective définie. Par là Bruno n’est pas encore Copernicien.

Et cela tient à ce qu’il ne peut renoncer à l’hypothèse que notre connaissance même exprime et atteste la nature intime de l’existence. L’échelle par laquelle la nature descend vers les choses particulières dans leur création est aussi celle par laquelle nous montons jusqu’aux lois générales dans notre connaissance. La production de la nature est un développement, une explication, notre connaissance est un résumé, une complication. Les deux processus se correspondent parfaitement. Comprendre une chose, c’est lui donner une expression abrégée simplifiée. Toute connaissance est une simplification, car elle cherche l’unité — d’où l’on peut voir clairement que l’essence des choses consiste dans l’unité ! — Il est évident que Bruno impose ici à l’existence la forme même de sa pensée, seulement ce n’est pas la forme de distinction, mais la forme d’unité. Il tient la dernière pour plus essentielle que la première. Mais on ne saurait se passer d’aucune d’elles. Le grand problème qui se présente ici ne fut repris que bien plus tard.

L’objet suprême de la connaissance en marque aussi pour Bruno la limite. L’unité absolue est inaccessible à notre pensée discursive et distinctive. Nous ne pouvons former aucune idée capable de l’exprimer. Elle est objet de croyance. Ce n’est qu’à l’état de révélation dans la nature, comme âme universelle, qu’elle est objet de philosophie. Et pourtant — l’âme universelle elle aussi, Dieu en tant qu’âme de la nature, en tant que substance de toutes substances, doit nécessairement être-au-dessus de toutes les antinomies (entre forme et matière, réalité et possibilité, esprit et matière, etc.) ! Elle aussi doit se dérober à la connaissance. — Nicolas de Cusa, par qui Bruno est ici fortement influencé, incline en ce point vers la théologie