Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

4. — Michel de Montaigne et Pierre Charron

Chez aucun autre penseur de l’époque, les différents caractères de la Renaissance ne ressortent avec une évidence aussi complète que chez Montaigne. D’abord, il possédait l’individualisme marqué qui se développa en France au XVIe siècle, comme aux siècles précédents en Italie, par suite des combats politiques et, pour Montaigne, par suite aussi des controverses religieuses dont il fut le témoin oculaire. En outre, la France du XVIe siècle avait son humanisme. Montaigne naquit en 1533 dans le midi de la France, d’une famille noble. Il reçut une éducation soignée et savante, entreprit des voyages en Italie et vécut ensuite la plupart du temps dans ses domaines, jouissant de la liberté et poursuivant ses études, tout en se gardant bien de se mêler aux mouvements politiques et religieux d’alors, qu’il observait comme on fait d’un spectacle. Sa retenue ne venait certes pas seulement de ce que l’observation des nombreux partis et des conceptions changeantes le portait au scepticisme ; il tenait surtout à conserver sa personnalité propre telle qu’elle était. C’est elle qui est l’objet le plus important de son étude. Ses Essais (les deux premiers livres parurent en 1580, le troisième en 1588) sont un livre hautement personnel, tant au point de vue du fond que de la forme. « Je m’estudie moy-mesme plus qu’autre subject, dit-il (III, 13) ; c’est ma métaphysique, c’est ma physique. » Aussi le livre nous donne-t-il des renseignements complets sur ses goûts, ses études, ses habitudes et sur sa manière de vivre. Il est écrit sous une forme libre, sans suite systématique. Penser, c’est pour lui une sorte de jeu, de passe-temps ; il laisse libre cours à ses inspirations, et les transmet à ses lecteurs aussi décousues et aussi désordonnées qu’elles se présentent à lui.

Dans l’avant-propos, il se hâte de déclarer, qu’à vrai dire, il n’écrit que sur lui-même (je suis moy-mesme la matière de mon livre) et que, si les mœurs et la coutume l’avaient permis, il aurait aimé à entrer plus avant encore dans l’exposé des renseignements détaillés sur sa personne. Dans le troisième livre des Essais il va, à ce point de vue, plus loin que dans les deux