Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/105

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— C’est que je n’ai pas toujours été heureuse, voyez-vous. J’ai vécu bien seule. Personne ne m’a jamais aimée.

— Cependant…

— Oui, Pierre ! Mais nous nous ressemblons si peu ! Et puis, il m’aime trop, lui ; cela gêne. Mais, avant, si vous saviez…

— Votre famille, votre mère…

— Ah, ma mère !

Elle eut un mauvais rire, strident et rancunier.

— Elle est morte, et je n’en peux rien dire, mais elle avait bien d’autres soucis que celui de sa fille.

Georges se tut, car il ignorait, et la crainte de remuer quelque douleur arrêta sur ses lèvres la formule de sympathie qu’il cherchait et trouvait à peine.

Jeanne était de moins en moins maîtresse d’elle-même.

— Mon père avait sa charge, il maniait l’or, et ne connaissait que la banque. Notre maison n’était pas d’ailleurs la seule où il eût un feu pour se chauffer et un lit pour dormir. Vous vous étonnez de me voir si instruite ? Tout le monde savait cette histoire, et les amis ont bien pris soin de me l’apprendre.

Ses mots claquaient, maintenant ; Georges n’osait la détourner de sa mémoire, ni l’y entretenir.

— Ma mère, disiez-vous ? Elle le savait comme les autres, mais on la consolait.

— Voyons…