Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/106

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— Je vous révolte à parler ainsi ? J’en ai bien assez pleuré pour que j’aie enfin le droit de le dire !

Un sanglot lui vint à la gorge ; elle se renversa sur le dossier du banc.

— Cela me soulage, d’en causer un peu. Vous êtes un ami, vous ! Pierre, je ne peux pas…

Elle porta vivement une main à ses yeux, qu’elle essuya du doigt, en se détournant.

— Oh, oui, j’ai bien souffert, entre eux deux, qui me voyaient d’un œil si froid ! Les enfants sentent cela. On m’a fourrée dans un couvent. Ils étaient plus libres, ainsi !

Les sanglots l’étouffaient : elle ne cachait plus ses larmes.

— Ni sœur, ni frère, je n’avais rien, personne ! Aux jours de sortie, je m’ennuyais dans un angle de salon. Les dames me donnaient un baiser poli.

Elle raconta qu’une grande, au couvent, l’avait appelée mademoiselle la présidente, et les autres riaient ; un lundi, on affecta de répéter autour d’elle les détails d’un drame dont elle n’avait pas entendu parler la veille : un magistrat trouvé pendu, dans sa chambre, par chagrin d’amour, disait-on à voix basse.

— On m’appela désormais madame la colonelle. Je ne comprenais rien, alors ! Elles non plus, sans doute, car elles auraient eu moins de pitié encore. Je n’ai commencé à deviner qu’à la mort de ma mère. Un de nos amis tomba à genoux dans sa chambre, au pied